Transcription de Claude LA CHARITÉ
NOTA : dans notre transcription, nous avons opéré les distinctions habituelles entre " u " et " v ", " i " et " j " ; nous avons également développé l’ " & " en " et ".
[Ai, ro]
LES MISERES DE
LA FEMME MAL
MARIEE.
Où se peuvent voir les peines et tour-
mens qu’elle reçoit durant sa vie.
Mis en forme de Stances, par Madame
LIEBAUT.
Augmenté d’un Discours de l’excellence
de la Femme, par Madamoiselle
Marie de Romieu Vivaroise.
Avec un Trophee des Dames.
[marque d’imprimeur à l’ange radieux sonnant de la trompette
avec la devise "ad celum volito in deo quiescam"]
A ROUEN,
Chez CLAUDE LE VILLAIN,
Libraire et Relieur du Roy, ruë
du Bec, à la bonne Renommée.
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1 6 1 8.
[Ai, vo]
[Aii, ro]
A MADAME DE MEDINE,
Religieuse aux Ammurez de
Rouen.
MADAME, les hommes en general sont si divers en leurs opinions, que par maniere de dire, chacun veut maintenir la sienne particuliere, avecques des raisons bien souvent qui sont du tout allienees de raison. Les Philosophes du temps passé nous ont laissé à la memoire, que la Nature qui est le Dieu supréme, avoit mis entre mains aux hommes, pour s’en servirm certaine espece de biens qu’ils appelloient indifferens, c’est à dire, qui n’apportoient ni bien ni mal aux hommes, sinon entant que les hommes les appliquoient à l’usage, fust à bien ou à mal, comme l’on peut dire de l’or, l’argent, le fer, et autres metaux, et bref de toutes choses inanimees : Ainsi avons nous en la police tant civile, que mesme en l’Ecclesiastique certaines choses qui
[Aii, vo]
sont indifferentes, et non pas necessaires du tout comme en celle cy, nous autres qui sommes plus zelez, ne sommes tenus de croire outre et par dessus ce qui est compris dans les tables de la Loy, que Dieu nous a donné par le bon pere Moyse, et ce que l’Eglise nous commande de croire : le reste demeurant à la discretion d’un chacun, que si l’on nous propose quelque chose d’avantage, c’est plustost par conseil, que par ordonnance et commandement expres. Tout de mesme en la police civile, prenant pour exemple le sujet du present Livret que je vous ay adressé. Car c’est bien une chose que le mariage qui demeure entierement à la disposition volontaire des hommes, contre les necessitez qu’y apportoient jadis les anciens Ethniques et Payens, ne differans en beaucoup de choses des bestes brutes que de la seule parole. Et ce vaisseau d’election S. Paul en parlant en ses Epistres, dit en ces termes, que qui se marie fait bien, mais qui ne se marie point, fait encores mieux. Comme s’il vouloit entendre que l’on s’en abstint pour voüer à Dieu sa virginité, ce qui se peut tou-
[Aiii, ro]
tesfois maintenir asiément ny observer un tel vœu, sans y apporter pour aide et support la priere, le jeusne, et la solitude, ainsi que vous faites, Madame, qui est un genre de vie à la verité qui excelle d’autant le mariage, que la contemplation a tousjours esté preferee à l’active. Ce que Dieu mesme confirme de sa propre bouche en son sainct Evangile, parlant des deux sœurs qui avoient suivy divisément, et l’une et l’autre vie, quand il dit que celle qui avoit delaissé la cure des choses terriennes pour vacquer à la priere, avoit esleu la meilleure part, sans le prendre au sujet qui est traité dans ce Livret, ny pour les occasions qu’il r’apporte concurrer souvent avec le mariage, ce que vous verrez plus amplement, comme le permettra vostre loisir, vous suppliant au reste de le prendre en bonne part, et que pour la souvenance que j’ay euë de vous, vous en pareil ayez souvenance de moy en vos bonnes prieres, que Dieu vueille exaucer. Adieu.
Vostre tres-humble et tres-affectionné
CLAUDE LE VILLAIN.
[Suivent les Miseres de la femme mal mariee de Nicole Liébaut]
[Bii, ro]
B R I E F D I S C O U R S.
Que l’excellence de la femme surpasse
celle de l’homme, autant re-
creatif que plein de beaux
exemples.
Nous avons bien souvent à mespris une chose,
Ignorans la vertu qui est en elle enclose
Faute de recercher diligemment le pris,
Qui pourroit estonner en apres nos esprits.
Car comme un coq qui trouve une perle perduë
Ne sçachant la valeur de la chose incognuë :
Ainsi ou peu s’en faut, l’homme ignare ne sçait
Quel est entre les deux sexes le plus parfait.
Il me plaist bien de voir des hommes le courage
Des hommes le sçavoir, le pouvoir d’avantage,
Je [sic] me plaist bien de voir les [sic] hommes la grandeur
Mais puis si nous venons à priser la valeur,
Le courage, l’esprit, et la magnificence,
L’honneur et la vertu et toute l’excellence
Qu’on voit luire tousjours au sexe feminin,
A bon droit nous dirons que c’est le plus divin.
Quelqu’un plein de despit, tout coleré de rage
Dira que je fais mal de tenir tel langage,
Et dira que la femme est remplie de maux,
D’inconstance et d’erreur sur tous les animaux :
Quant à moy je sçay bien qu’entre nous femmelettes
On peut humainement trouver des fautelettes
[Bii, vo]
Mais cela ne fait pas que ne soit deu l’honneur
A la femme qui est pleine de tout bon heur,
Chasse mal, chasse ennuy, chasse dueil, chasse peine,
L’asseuré reconfort de la semence humaine.
Si l’on veut balancer selon les sainctes Loix
Des hommes les pechez d’un equitable poix
Bien tost on trouvera que la juste balance
Contre l’homme donra la tresjuste sentence,
Pour prouver la grandeur je prens premierement
De sa formation mon premier argument
La matiere de chair est elle pas plus belle
Dont ce corps femeinin fut basty sans modelle
Suivant le sainct vouloir du vray Jupin tout bon,
Que n’est celle qui fut formee du limon ?
Sans douter il y a en l’une d’excellence
Plus qu’en l’autre n’y a de vertu ni puissance.
Et comme le Soleil et les luisans flambeaux
Qui drillent [sic] dessus nous comme tous animaux,
La nourriciere terre et comme le ciel mesme,
Bref tout ce qui fut fait de la main du supresme
Devant l’homme mortel n’est point si precieux,
Que l’homme sur cela beaucoup plus glorieux :
Tout ainsi la femme est dessus l’homme plus digne
Comme chef d’œuvre au vray de la vertu divine.
Aussi quand Jupiter la voulut esgaler
Aux Citadins du Ciel les Dieux fit appeller,
Afin que chacun fit offrande de la chose
Qu’il tenoit dedans soy plus secrette et enclose,
Qui luy donna les mots d’un parler gracieux,
Qui luy quitta ses rais pour luy former les yeux,
Qui laissa son pouvoir et qui son abondance,
Qui donna son honneur, qui donna sa prudence.
Quelle langue pourra leurs merites vanter ?
Quelle voix pourra donc leur loüanges chanter ?
[Biii, ro]
Quelle plume osera laisser à la memoire
De leurs braves esprits la nompareille gloire ?
Esprits vrayment constans en toute adversité,
Et non à tout moment comme l’autre irrité.
Si l’on veut regarder de pres toutes les choses
Qui sont divinement dedans elles encloses,
Argus n’y verra rien entre tant de vertus
Desquelles ces fueillets seront en brief vestus,
Car de vouloir parfaire un si hautain ouvrage
Mon bas stile perdroit sa force et le courage,
Qu’on ne me vante plus des hommes les combats,
Qu’on ne me chante plus la force de leurs bras,
Hé quel homme sera fut-il grand Capitaine
Parier sa vertu à la Camillienne ?
Camille qui jadis fut pleine de valleur
En proüesse et conseil du monde seul honneur.
Pentasilee, quoy ce foudre de la guerre
De laquelle le nom demeure encor en terre
Et vivre pour jamais ? Et quoy Semiramis
En qui Pallas avoit sa plus grand force mis ?
Tant que les vents seront jamais leur renommee
Glorieuse n’ira au gré de la fumee
Valasque, et Zenobee en temps de nos ayeux
Se sont acquis un nom tousjours victorieux
Mais le siecle ancien n’en a point tant de milles
Que le nostre n’en ait encor d’aussi habiles
Allons donc plus avant venons à la douceur
Et saincte humanité dont est remply leur cœur.
S’est-il trouvé quelqu’un qui eut l’ame saisie
De semblable bonté faveur et courtoisie ?
Le Ciel vouté n’a point tant de luysans brandons
Comme l’on contera de feminins mentons
Qui ont abandonné leurs caduques richesses
Et se sont fait au Ciel immortelles Deesses.
[Biii, vo]
Aux pauvres dedié ont fait bastir maint lieu
Qui tout tousjours estoit pour la gloire de Dieu,
Ont fait edifier mill’ et mille chappelles
Racheté prisonniers, y a il œuvres plus belles ?
Jamais ne seroit fait qui voudroit parvenu
Raconter la pitié par elles maintenu
Lisez le fait hautain de cette noble Dame,
De qui pour tout jamais courra cy bas la Flame,
Qui daigna recevoir d’une honorable main
Liberalle sans plus tout le grand ost Romain,
Tairay-je de Phriné le courage notable
Sa liberalité sans cesse memorable,
S’offrant à rebastir les grands murs Thebeens
Pour vivre seulement apres soy quelques ans :
Hà jamais ne sera que ma Muse ne dicte
La grande charité qui estoit en Thabite,
Thabite qui portoit tant d’honneur à son Christ
Qu’elle ne permettoit que le pauvre souffrit.
Ce sainct amour estoit caché dans sa poitrine
Tant qu’elle estoit sans plus à un chacun benigne.
Aux pauvres orphelins aux vefves mesmement
Qui estoient sans secours en disette et tourment
Ainsi distribua tous ses biens de fortune
N’ayant plus pour couvrir sa nature commune,
O amour non ouy, ô saincte charité,
O cœur doux et benin qui ta necessité
Oublies pour aider à tes membres semblables !
Fait vrayment qui sera mise entre les notables,
Et de qui parleront tous les siecles suyvans
En despit de l’envie et de tous mesdisans.
Le mesme est advenu à maintes demoiselles
Qui sont ores au Ciel pour jamais immortelles,
Et de qui nous n’avons maintenant que le nom :
Le monde estant remply de leur los et renom.
[Biiii, ro]
Jà desja j’oy crier quelqu’un à mes oreilles
Qui me tence dequoy j’en dis tant de merveilles
Et me dit venez çà ne sçavez vous pas bien
Que nous ne faillons point que par vostre moyen ?
Sçavez vous pas aussi que le mal qui nous presse
Vient de voir vostre face, et vostre blonde tresse ?
Si Paris n’eut point veu d’Heleine les beaux yeux
Troye n’auroit elle pas ses preux victorieux
Encore tant de citez esleveroyent leurs testes
Jusqu’au Ciel, qui sont or l’habitacle des bestes.
Abandonnez vous pas pour un rien vostre corps
Qui est cause en apres de tant de mille morts ?
Hà qui voudroit de vous un gros volume escrire
Il trouveroit assez de sujet à mesdire.
Ainsi dit, mais helas ! par là vous monstrez bien
Que vostre cerveau n’a ne bride ne lien,
Pauvres gens insensez des bons esprits la fable
Pourquoy avez vous donc une ame raisonnable ?
Si vous n’en avez point mes propos sont deçeus
Dieu vous a donc en vain d’une raison pourveus,
Hà ce n’est pas ainsi, non ainsi ce n’est pas,
Vous ne vous trompez point par nos subtils appas,
C’est quelqu’une de nous, las! qui se laisse prendre
Dans les trompeurs filets que vous luy venez tendre.
Madame dira l’un vous sçavez que le Dieu
Qui commande à la terre au ciel, et en tout lieu,
Quand il veut décocher une flesche amoureuse
L’on ne peut eviter la playe dangereuse
Je le sens maintenant, car vos perfections
Ont tellement navré mon cœur de passions
Que je ne sens en moy muscles, tendons, ny vaines
Qui n’endurent pour vous innumerables peines,
Et si me plaist encor de vivre et d’y mourir !
Pourveu que vous daignez à mon mal secourir.
[Biiii, vo]
L’autre plus effronté dira et bien, Madame,
Y a-il quelqu’un cy bas qui vostre renom blasme ?
Dites le je vous pry’ je luy feray sentir
Combien vaut d’acheter l’aune d’un repentir,
Je vous suis trop servant, j’ayme trop vostre face,
Et le benin accueil de vostre bonne grace.
Croyez asseurément que tant que je vivray
Pour vostre nom aimé ma vie je mettray.
L’autre mieux embouché des mots de Rhetorique
Fera sembler le blanc estre couleur Lybique
Et sous le voile feint d’un langage fardé
Ornera son propos de propos [sic] mignardé.
Si le ciel dira-il, Madame m’a fait naistre
Pour vous estre servant, comme je desire estre,
Et si le mesme ciel vous a mis icy bas
Pour sa benignité ensuivre pas à pas,
Si vous n’avez le cœur d’une fiere leonne,
Si à vous voir encor vous ne semblez felonne,
Pourquoy differez vous à me donner secours
Sans jouyr entre nous de nos douces amours ?
Et pourquoy souffrez vous qu’en mourant je m’escrie
Que je meurs pour aimer trop une fiere amie ?
Qui ne seroit deçeue à si miellez propos,
Superbes, importuns, fascheux, fiers, sans repos.
Voila comme quelqu’une entre tant de pucelles
Laisse cueillir le fruict de ses pommes les plus belles
Plus par ravissement et deception,
Que pour avoir en eux mis trop d’affection.
O trompeuse esperance et bien heureuse celle
Qui n’a point engravé tels mots en sa cervelle,
Que vous estes trompeurs et pleins de vanité :
Bien-heureuse qui n’oyt vostre importunité.
Oncques je n’ay trouvé dans les vrayes histoires,
Ny dans les vieux escrits d’anciennes memoires
[Bv, ro]
Qu’une femme se soit donnee volontiers
Sans l’importunité de ses plus familiers
A nul homme vivant : Ains j’ay bien ouy dire,
Qu’il falloit feindre avant un amoureux martyre
Estre passionné, ne dormir point la nuict,
Aller et revenir quand le Soleil nous luit.
Un œillade adorer en secret eslancee,
Rien sinon son objet n’avoir en la pensee,
Feindre d’aimer un autre, et faire rien sinon
Hausser jusques au ciel la gloire de son nom,
Inventer, composer, mille sonnets escrire,
Pour monstrer vrayement que pour elle on souspire
Gueter deçà delà ainsi que fait le loup
Quand il veut au troupeau faire quelque bon coup
Tantost dessus le front porter un bon visage,
Et tantost ne monstrer qu’un larmoyant image :
Aviser les moyens pour seurement tenir
Ce joyau qu’on ne peut par armes soustenir,
User de braves mots, dresser mille menades,
Apposter des servans, faire mille algarades.
Que diray plus ? Voila les grands subtilitez
Qu’on trouve en vos esprits de tels vents agitez,
Aristote disoit que l’humaine personne
Composee de chair plus delicate et bonne,
Faisoit par Sympathie avec l’esprit meilleur
A ceux là qui estoient doüez d’un tel bon-heur.
Doncques puis qu’ainsi est, qui est celuy qui doute
Que le nostre ne soit plus excellent sans doute,
[Bv, vo]
Veu que tout nostre corps est delicat et beau
Par dessus la beauté de vostre belle peau ?
On le peut voir assez selon l’experience
Qui de tous les jours vous en donne asseurance,
On le peut avoir [sic] aussi par les inventions
Qui sortent tous les jours de nos perfections.
Qu’on lise seulement aux inventeurs des choses,
Mon Dieu qu’on y verra de merveilles encloses ?
Premier on y lira tant d’hommages parfaits
On y lira encor tant de genereux faits.
On verra là dedans leurs loüanges hautaines,
Jusques à inventer les sciences humaines
Desquelles maintenant les hommes se font forts
Comme d’un bastion contre cent mille morts.
Qui est pour vous monstrer que comme d’elles naissent
Les hommes, et encor par leur moyen accroissent
Les sciences aussi qu’on dit l’humanité [sic]
Sont des invextions[sic] de leur divinité.
Mais quoy, est-il pas vray, afin que je ne mente
Qu’elles ont commencé en la bonne Garmente,
Qu’une Leantia vainquit publiquement
Theophraste le grand par maint bel argument :
Eustochion en fit autant à sainct Hierosme
Pour monstrer aux Rom. [sic] qu’elle estoit nee à Rome
Rome mere des arts, et des nobles esprits,
Où elle avoit Hebrieu, Grec, et Latin appris.
Une sepmaine, un mois, voire une annee encor
[Bvi, ro]
Ne me suffiroit pas pour vanter le thresor.
De leurs subtils esprits, d’autre part l’univers
Ne les ignore pas Saphe trouva les vers
Qui depuis de son nom furent nommez Saphiques
Estimez hautement des hommes prophetiques :
Elle vainquit aussi par maint docte raison
Tous les Vates sçavans de sa belle saison.
Autant en fait Corinne à leur grande loüange
Qui court bien empannee or’ au More or’ au Gange
Tantost dessus Atlas guinde [sic] ses pas legers
Et tantost vers le Nil annonce aux estrangers,
Puis deçà puis delà va racontant au monde
Les vertus de ce sexe où tout honneur abonde
Si l’Italie vouloit les les siennes estaler
Si brave ne seroit qui s’osast esgaler.
A la moindre de mill’ et mill’ en abondance
Sans faire voir à tous bien tost son arrogance.
Tu m’en feras tesmoin docte Degambara,
Car qui sera celuy si sot qui osera
Contredire à ton vueil et à cil de Pesquiere
Sans rapporter chez soy une douleur amere,
D’avoir voulu en vain disputer contre vous
De qui sort et le miel et le nectar tant doux :
Que doy-je dire encor d’Amill’Angosiole,
La terre des Germains et la terre Espagnole
En ont des legioons qui tiendroient seurement
Des sciences escole à tous ouvertement,
Mesmes aux mieux versez, mais par sur tout la France
[Bvi, vo]
Aura le plus grand pris de toute la science.
Or je suis comme cell’ qui entre en un jardin
Pour cueillir un bouquet quand ce vient au matin
Là le Thym hybleau et la rose tant belle
Là l’œillet, là le lis, là mainte fleur nouvelle
S’offrent à qui mieux mieux tellement qu’elle ne sçait
Comme doit de sa main entasser un bouquet
Tout ainsi je ne sçay laquelle je dois prendre
Premier entre cent mill’ qu’à moy se viennent rendre
Tant la France est fertile en tres-nobles esprits,
Mais bien je feray mieux j’ensuivray les avettes
Qui rendent tous mes sens extasement espris,
Qui vont deçà delà cueillant maintes fleurettes
Pour en faire du miel ore dessus un mont
Et or’ dans un beau pré vagabondes revont :
De mesme en ce discours l’une sera premiere,
L’autre mise au milieu, l’autre sera derniere
Sans ordre ny sans art aussi ne faut-il pas
Donner Muse le vert jusqu’apres le trespas,
Vien donc sœur des neuf sœurs et 4. Charite,
Ma Contesse de Rets, vient que tu sois escrite
La premiere en mes vers : le Grec t’est familier,
De ta bouche ressort un parler singulier,
Qui contente les Roys et leur Court magnifique
Le Latin t’est commun, et la langue Italique,
Mais par sur tout encor le François te cognoist,
Pour son enfant t’avouë honore et te reçoit
S’il faut feindre un souspir d’un amant miserable
[Ci, ro]
S’il faut chanter encor un hymne venerable :
Tu ravis les esprits des hommes mieux disans
Tant en prose et en vers tu sçais charmer nos sens.
Menez apres Morel, Charamont, Elisenes
Desroches de Poitiers Graces Pieriennes.
Vous aussi qui tenez le sceptre Navarrois
Et vous ma generale honneur des Piedmontois
De qui l’illustre sang l’Italie environne
Ayant regné long temps sur Vincense et Veronne
Et de qui les ayeux de vertus amoureux
Ont esté de tout temps puissans, et genereux.
Ore je ne dis rien de ceste grand’ princesse
La perle des Valois qui est au Ciel Deesse
Maintenant pour jamais toy qui regis ici
La France qui se rend à ta douce merci
Voy ce qu’en ta faveur grand Royne Catherine
J’escris pour haut tonner la race feminine.
Ceux que nostre temps ont couché par escrit
Les faits de tes grands Rois viennent de ton esprit.
Tu es leur sainct parnasse, et leur eau de permesse
Aussi chacun t’honore et te tient pour Deesse.
Mes Dames qui voudroit dignement vous vanter
D’une Valeria il faudroit emprunter
Le sçavoir et la voix, ou d’une Cornelie
Le parler, ornement de l’ancienne Italie,
Trop peu forte est ma voix, Si quelqu’une de vous
Vouloit ceci parfaire, à la veuë de tous
Bientost on jugeroit sans appel que nous sommes
Dés le commencement comme or’ plus que les hommes.
Finy Muse, fini mes plus cheres amours
Mignonne, c’est assez fini moy ce discours
Par l’amitié que Dieu a monstré aux femelles
Leur ayant desparti ses graces les plus belles.
On lit aux saincts cayers de l’ancien testament
[Ci, vo]
Que celuy qui tient tout feit un commandement
Au bon Pere Abraham de vouloir tousjours faire
Ce que diroit Sara, s’il luy vouloit complaire.
Celuy qui nous sauva estant ressuscité
Monstra premierement sa saincte humanité
Aux Dames Trismegistes et plusieurs autres sages
Nous en ont delaissé maints serieux passages :
Tous disent que le lieu sans femmes habité
Est comme un vray desert du tout inhabité,
Et qu’on doit grandement fuir l’humaine race
A qui ne plaist hanter la feminine grace.
Ou est l’honnesteté, ou les chastes propos,
Ou le plaisant mesnage et ou le doux repos
Si ce n’est à la femme à qui toute influence
De biens tombe du ciel en prodigue abondance ?
Aussi voila pourquoy toutes les vertus ont
Des femmes retenu le nom veu qu’elles sont
D’honneur et de vertu beaucoup plus excellentes
Que des hommes ne sont les grands trouppes errantes.
Fin de l’excellence de la Femme.
[Suit Le Trophee des dames par Joachim Blanchon]